La calligraphie en cours d’arabe. Expériences de pratique de calligraphie au collège, au lycée et à l’université

فَـنّ الـخَـطّ العربيّ في دُروس العَربيَّة

خِـبـرات مُـمارَسة فَـنّ الـخَـطّ في الـمَـدْرَسة الإعدادِيَّـة وَالثانَـويَّـة والـجامِعة

Maxime ADEL

Journée de Travail et Assemblée Générale 2023

L’Association Française Des Arabisants (AFDA)

Samedi 22 avril 2023 – MUCEM – Marseille

La culture arabe, influencée par l’islam1, est iconoclaste et aniconique, dans le sens où elle interdit l’image (aniconisme). Les premiers arabes étaient donc obligés de s’exprimer à travers l’écriture, ce qui a conduit au développement de l’art de la calligraphie.

Ce qui distingue la calligraphie arabe en tant qu’outil d’apprentissage de la langue c’est qu’elle réunit le visuel, le sens esthétique et la motricité manuelle et digitale (coordination entre l’œil et la main).

Pour moi, la première découverte de l’importance de la calligraphie comme outil de l’enseignement de l’arabe ça a été au début de l’année scolaire 2013-2014 lorsque, pendant le cours de vocabulaire pratique écrite pour débutants à l’université d’Aix-Marseille (AMU), des élèves assis au fond de l’amphithéâtre m’ont dit qu’il ne voyaient pas bien ce que j’écrivais au tableau. Ce qui m’a amené à réécrire la phrase en style calligraphique Naskh avec la largeur de la craie. Cette écriture a ébahi les élèves à telle enseigne que certains ont pris leurs portables pour la prendre en photo et qu’ils ont demandé par la suite de leur faire un atelier de calligraphie.

Et depuis 2013, j’utilise la calligraphie au DEMO (département d’études moyen-orientales, (ALLSH) à AMU, pour les cours d’arabe écrit débutant, puis j’ai organisé plusieurs stages de calligraphie au DEMO, à la MMSH (Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme), et actuellement à l’UTL d’Aix-Marseille (Université du Temps Libre). J’ai également animé neuf ateliers de calligraphie arabe (dont certains sont destinés aux élèves) dans les bibliothèques de Marseille, dans le cadre des événements « Arts de l’islam » organisés par la ville de Marseille en 2022. J’organiserai l’année prochaine plusieurs ateliers de calligraphie à la demande de la Ville de Marseille (Musées de Marseille) et dans le cadre de l’exposition Baya2.

Au collège Condorcet à Nîmes, j’ai organisé en avril 2022 dans le cadre de la semaine des langues une exposition de calligraphie arabe à laquelle les élèves ont participé. J’ai animé plusieurs ateliers de calligraphie dans les classes de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème, et j’ai sélectionné plusieurs œuvres faites par les élèves pour les exposer dans le couloir du collège. Les élèves rivalisaient pour exposer leurs calligraphies. Certains élèves qui avaient un niveau très faible à l’écrit ont maîtrisé plus rapidement l’alphabet afin de participer à l’exposition.

 

 

Dans les ateliers, nous calligraphions les noms des élèves, des mots et des phrases du programme scolaire et des proverbes adaptés au milieu éducatif, comme :

1- « العِلمُ نُور » [Al-ʿilm nūr] [« La connaissance (la science) est une lumière. »] ;

2- « القَلَمُ سَفيرُ العَقلِ » [Al-qalam safīr al-ʿaql] [« Le Calame [le roseau] est l’ambassadeur du cerveau. »] ;

3- « مَن جَـدَّ وَجَدَ » [Man jadda wajada] [« Qui travaillera trouvera. »] ;

4- « كَما تَزرَعُ تَـحصُـدُ » [Kamā tazraʿ taḥṣud] [« Tu récoltes ce que tu as semé »] ;

5- « الـحَرَكَة بَـرَكَة » [Al-ḥaraka baraka] [« Le mouvement est une bénédiction ! »] ;

6- « الطُّيُورُ عَلَى أشكالِها تَقَعُ » [Aṭ-ṭuyūr ʿalā ashkālihā taqaʿ] [« Les oiseaux selon leurs formes se réunissent. » [≈Qui se ressemble s’assemble.]] ;

7- « الصَّبرُ مِفتاحُ الفَرَحِ أو الفَرَجِ » [Aṣ-ṣabr miftāḥ al-faraḥ aw al-faraj] [« La patience est la clé de la joie ou de la délivrance »] ; etc.

Je veille souvent à ce que les formes des calligraphies révèlent un des messages du proverbe calligraphié.

 

 

 

Je reçois beaucoup de demandes de la part des élèves pour calligraphier les noms de leurs sœurs et frères, de leurs parents ou même de leurs cousins. Des fois, je calligraphie et plastifie le nom d’élève comme récompense à ses efforts, en exigeant par exemple de l’élève qui me demande de lui calligraphier son nom ou celui de son proche d’apprendre l’alphabet par cœur ou d’apprendre des mots du programme.

En dehors des ateliers, j’utilise la calligraphie avec certains élèves qui ont des difficultés d’apprentissage. Il s’agit d’une activité ludique et apprenante. Je leur donne des feutres biseautés destinés à la calligraphie, des feuilles A4 ou A3 et des modèles de calligraphie des lettres, des mots ou des phrases que j’ai déjà réalisés pour eux et je leur demande d’imiter le modèle proposé. Je dois les surveiller bien car certains salissent la table, la chaise ou gaspillent des papiers.

J’utilise également la calligraphie comme exercice de lecture. Je lance un défi : je calligraphie au tableau une phrase dans une composition un peu difficile et je demande aux élèves de la déchiffrer. Parfois, j’écris la phrase sans points diacritiques et je leur demande d’y ajouter les points.

Au lycée Albert Camus, j’utilise la calligraphie comme un moyen pour attirer l’attention des élèves et les sensibiliser à la beauté de l’arabe. L’an dernier, j’ai organisé plusieurs ateliers en classe. Certains élèves ont bien appris à écrire juste pour avoir des récompenses de calligraphie de leurs noms.

Cette année 2022-2023, j’ai collaboré avec Mr. Reano Feros [alias : Renaud Feros], un artiste calligraphe parisien habitant à Avignon et qui était artiste résident au lycée Camus. Nous avons organisé au lycée des ateliers de calligraphie qui réunissaient la lettre arabe et la lettre française et que les élèves ont adorés. Ils ont demandéd’organiser d’autres ateliers.

 

 

 

 

L’objectif principal de ces ateliers est de renforcer le niveau des élèves en écriture et en grammaire. En guise d’exemple, je calligraphie parfois des noms ou des mots qui contiennent des hamzas (هَمْزَة) (« coup de glotte ») pour parler des règles des supports de la hamza dans un climat plus ou moins ludique.

Dans l’avenir, je compte collaborer également avec Mme Margot SHEN, professeur de chinois au lycée Albert Camus à Nîmes. L’on sait bien que la Chine a une longue et riche tradition calligraphique qui remonte à plus d’un millénaire avant J.C (et c’était au IIe siècle avant J.-C que la Chine utilisait des pinceaux sur des supports en bois, en étoffes ou en papier de riz), alors que la calligraphie arabe remonte au IXe siècle après J.-C.

Je ne ménage aucun effort pour mettre l’art de la calligraphie arabe au service du processus éducatif et pédagogique.

Pour information : La calligraphie arabe comme thérapie

Si l’art de la calligraphie arabe a un effet positif sur la psychologie du lecteur ou du spectateur, il n’en est pas moins pour la psychologie de l’auteur (le calligraphe).

Car la calligraphie développe chez son auteur la concentration, le calme, le contrôle du soi, la patience, la dextérité, le sens esthétique, le bien-être et la sérénité, l’harmonie, la proportionnalité, la fluidité, la flexibilité, le raffinement, la géométrie et la créativité. Elle enracine l’auteur dans le moment présent.

La calligraphie arabe peut être utilisée comme art-thérapie, un art visuel de méditation et d’introspection, un art qui permet de s’exprimer et de laisser surgir ses images intérieures et son passé notamment à travers la mise en forme de la calligraphie doublement significative (signification donnée par l’énoncé calligraphié et signification donnée par la forme qui reflète un aspect de l’écriture, par exemple : calligraphier en couleurs le mot « حُرّيّة » [ḥurriyya] (=liberté) en forme d’oiseau qui s’envole). Cet art pourrait aussi favoriser la motricité fine (motricité manuelle et digitale), voire la motricité oculaire et oculo-manuelle (coordination entre l’œil et la main).

Dans la tradition arabe, on trouve beaucoup de citations qui glorifient la calligraphie et qui mettent en exergue le lien entre esprit et corps, comme la citation de l’intellectuel Abū Ḥayyān At-Tawḥīdī (923–1023 J.-C.) (accusé d’athéisme, placé au même rang qu’Ibn ar-Rawandī et al-Maʿarrī) : « Al-kitāba handasa rūḥāniyya bi-ʾāla jismāniyya » (« الكِتابة هندسة روحانية بآلة جِسمانيَّة ») (« L’écriture [calligraphique] est une géométrie spirituelle réalisée par un outil physique. »). (AbūḤayyān At-Tawḥīdī, Risāla fī ʿilm al-kitāba (رِسالة في عِلم الكِتابـة [Traité dans la science de l’écriture]), manuscrit inédit conservé à la bibliothèque universitaire du Caire. La citation est extraite du livre Muawwar al-khaṭṭ al-ʿarabī (مصوَّر الـخط العربي) [La calligraphie arabe illustrée] de Nājī Zayn Al-Dīn, Académie irakienne, Bagdad, 1968, p. 396). La calligraphie arabe a un triple effet : physique, émotif et spirituel.

Selon la grande philosophe Simone Weil (1909 – 1943), la beauté est inhérente à ce monde puisque le Logos [Raison universelle d’où émane la pensée, la logique et la langue], rendu sensible à travers la géométrie الهندسة الرياضيَّة, est l’organisateur du monde matériel, preuve que ce monde pointe vers l’au-delà. Le beau établit le caractère essentiellement « télique » هدفيّ/غائي de tout ce qui existe. Le beau a également une fonction de sotériologie (khalāṣī خَلاصي) : « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme. » (Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Plon, 1988, 168)

La calligraphie arabe peut être utilisée comme un moyen sotériologique (khalāṣiyya خَـلاصِـيَّـة) et télique (ghāʾiyya غائِـيَّـة). La télicité calligraphique (al-ghāʾiyya al-khaṭṭiyya الغائية الـخَطّيّة) se montre dans le fait que la forme géométrique des représentations linguistiques a un but, une fin, un sens, c’est transmettre une épiphanie ou une manifestation d’une pensée du Logos.

Dans son ouvrage Fiqh al-lugha al-ʿarabiyya wa-khaṣāʾiuhā [« فِـقْـهُ اللُّـغة العَـربية وَخَـصائِـصُها »] (éditions Dār al-ʿilm li-l-Malāyīn, 1982, p. 231), le professeur à l’université libanaise Imīl Badiʿ Yaʿqūb [إميل بديع يعقوب] (1950 – ) cite le linguiste et orientaliste britannique Sir Edward Denison Ross (1871 – 1940) qui souligne que l’alphabet arabe est flexible et a sur l’esprit le même effet esthetique des images…

«إنَّ حُروفَ العَربيِة مَرِنَةٌ سَهلة، لها في النفوس ما لِلصُّـوَرِ مِن الـجَمال الفَنّيّ، ولا سِيَّما حين تُـنقَش على مَداخل الـمَباني أو الأضرحة، سواء كانت ثُُــلثًا، كوفيًا ، أو نَسخًا.» دونسون روس (الدكتور إميل بديع يعقوب [الجامعة اللبنانية]، « فقه اللغة العربية وخصائصها »، «الفصل الثاني عشر : الخَطّ العربي : نشأته، تطوُّرُه، مُشكلاتُه»، دار العلم للملايين، بيروت، ط١، ١٩٨٢، ص ٢٣١)

1 Cet iconoclasme est probablement hérité du judaïsme ; le second commandement de Dieu dans la Bible dit : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. » (Exode 20:4).

«لاَ تَصنَعْ لَكَ تِـمثَالًا مَنحُوتًا، وَلاَ صُورَةً ما مِـمَّا فِي السَّماءِ مِن فَوقُ، وَما في الأَرضِ مِن تَـحتُ، وَما في الـماءِ مِن تَـحتِ الأَرضِ.» (خروج، ٢٠، ٤)

Et dans le nouveau testament, on lit : « Petits enfants, gardez-vous des idoles. » (1 Jean 5:21)

«أَيُّها الأَولادُ احفَظوا أَنفُسَكُم مِنَ الأَصنامِ.» (رسالة يوحنا الرسول الأولى، ١ يو ٥: ٢١).

En islam, on trouve plusieurs hadiths qui condamnent l’image, dont celui-ci :

«إنَّ مِن أَشَدِّ أهلِ النارِ، يومَ القيامةِ، عَـذاباً الـمُصَـوِّرون.» (صحيح مُسْلِم)

« Parmi les personnes qui seront le plus sévèrement punies le Jour de la Résurrection se trouveront les faiseurs d’images. » (Ṣaḥīḥ Muslim)

2 Baya (de son vrai nom Fatma Haddad, épouse Mahieddine) (1931 – 1998) est une peintre algérienne.

Liens de l’article: 

https://p5.storage.canalblog.com/56/85/1101800/133160331.pdf

https://www.academia.edu/101701498/La_calligraphie_en_cours_d_arabe_Exp%C3%A9riences_de_pratique_de_calligraphie_au_coll%C3%A8ge_au_lyc%C3%A9e_et_%C3%A0_l_universit%C3%A9